La rébellion de 1963

Publié le par letouareg.over-blog.fr

L’incident qui mit le feu aux poudres eut lieu le 14 Mai 1963, non loin de Boghessa, près de la frontière algérienne et c’est le propre fils d’Alla Ag El Bechir, Elladi Ag Alla, qui le déclencha. Il n’y eut pas mort d’hommes… C’est la personnalité d’Elladi sans doute qui fut un casus belli de cet incident qui n’était pas le premier : le fils de celui qui avait si longtemps fait courir les Français s’était livré à un acte un brigandage sur les forces armées du Mali (…)

Les rebelles étaient peu nombreux, armés de « mousquetons » et montés sur le méhari. C’est selon l’expression de Pierre Boilley « une révolte d’un autre âge ».

Ils tentèrent de mener une guérilla, en attaquant patrouilles et convois, et en récupérant les chameaux des goumiers. Pendant ce temps en Algérie, le petit groupe d’ « intellectuels » touaregs qui s’était activé à organiser la sécession mais avait été pris de vitesse par les événements, travaillait à ravitailler les rebelles en vivres et armes, et à essayer, sans succès, de trouver des appuis à la rébellion.

Menées avec très peu d’hommes (entre 120 et 1000 selon les estimations imprécises), les opérations sont dirigées notamment par Elladi Ag Alla, Issuf Ag Echer, Sid Alamin Ag Echer et Amegha Ag Sharif. Elles se déroulent principalement dans le Nord de la région, non loin de la frontière algérienne, pour permettre le repli dès le coup de main effectué. Pourtant les maliens n’hésiteront pas à plusieurs réprises de franchir cette frontière dans leur « droit de poursuite » accordé par les Algériens. Les accrochages, ou même parfois de véritables batailles rangées, ont lieu à Timiawin, Tin Zawaten, Tessalit, Boughassa, Tinkar, Taghlit, Abeybara et, pour le plus méridional, à Kidal.

Sur le terrain, les temoins raconteront les massacres des civils, les rafles dans les campements et les villages, les viols, les exécutions sommaires des hommes, devant leur famille qui était priée d’applaudir. Les puits furent empoisonnées et la région située entre Kidal et la frontière algérienne décrétée zone interdite : toute personne prise dans cette zone était présumée rebelle et tirée à vue, ainsi que le betail (sauf pour quelques « zones de regroupement » créées autour d’Aguel-Hoc, Telabit, Boughassa et Tessalit, ainsi qu’au Sud et à l’Ouest de Kidal).

En conséquence, beaucoup furent contraints de s’exiler en Algérie, dans une prémière vague d’émigration massive hors des frontières maliennes.

Cette répression fut « le meilleur fournisseur de la rebellion en hommes par la haine qu’elle engendra chez les Kel Adagh » et cette haine se transmettra : les fils de ces hommes qu’on tuait en 1963 auront 30 ans en 1990 ! Pour ceux qui n’étaient pas encore nés, l’année 1963, restée dans les mémoires de l’Adagh comme l’ « Année du combattant » (Awatay wan elfallaga) ou l’ « Année de l’exil » (Awatay wan Ahanet), fera partie de la legende et sera colportée dans les chants du désert :

L’année 63 a eu lieu elle se répétera

Ses jours ont laissés des traces

Elle a assassinée des vieux et même un nouveau né

Elle est entrée dans les pâturages elle a tuée le bétail

L’Amérique et le Liban sont témoins

La Russie fournissait le feu enflammé

Mes sœurs pourchassées sans merci

Je ne peux les troquer contre rien qui existe

Au cours d’une embuscade un dénommé Ghali Ag Babakar est tué ; il était le père de celui qui mènera la rébellion de 1990 au Mali et se retrouvera aux côtés des mutins en 2006.

C’est ainsi que la rébellion de 1990 est fille de la révolte de 1963 !

Privés de bases de ravitaillement sur place, la rébellion s’essoufla et l’année 1964 sera l’ « Année de la paix » (Awatay wan n alkher).

Accusé d’avoir dirigé la rébellion Mohamed Ali Ag Attaher, de Kel Ansar, est livré par le Maroc dès 1963 et sera détenu à Bamako jusqu’en 1977 ; refusant les offres de collaboration de l’Etat malien, il repartira immédiatement en exil au Maroc oû il mourra en 1994.

Zeyd Ag Attaher, des Ifoghas, est livré par l’Algérie le 01 Novembre 1963. Condamné à mort, il ne sera pas exécuté parce que, même s’il fut l’un des chefs de la rébellion de l’Adagh, il reste le frère de l’amenokal et il n’aurait pas été politique de relancer une vendetta avec le chef des Ifoghas. Il passera 14 ans dans la prison de Gao. Il y rejoint par Elladi Ag Alla capturé en Mars 1964, mais celui-ci s’evadera et s’exilera à Tamanrasset.

Sid Alamin Ag Echer est tué lors du dernier grand combat, le 16 Juillet 1964, dans l’Adrar Timtaghen.

La rebellion est vaincue, ses chefs sont tués ou emprisonnés, le pays est déclaré zone interdite aux étrangers et sera administré par les militaires jusqu’en 1987. Le bagne de Kidal accueille les rebelles. Le pays est exsangue, vidé de sa population et de son cheptel (40% des animaux auraient été tués par les militaires qui on également coupés les arbres, aggravant ainsi les conséquences des sécheresses à venir).

Les causes de la defaite sont d’abord militaires : les rebelles étaient trop peu nombreux, mal armés et très vite coupés de leurs bases dans un pays vidé de sa population. Elles sont surtout politiques : la rébellion de l’Adagh est restée une révolte isolée dans le monde touareg. Sans doute parcequ’ils avaient gardés en mémoire les défaites de Firhun et de Kaosen, ni les Iwellemmeden au Sud de l’Adagh, ni les Kel Aïr du Niger, ne bougèrent. Surtout la rébellion était minoritaire sur son propre terrain : les Kel Adagh n’étaient pas tous derrière Zeyd, et beaucoup ont préféré suivre son frère, Intalla, qui s’était beaucoup dépensé pour dissuader les tribus de rejoindre le mouvement de révolte.

Au niveau international, la rébellion ne pouvait attendre aucun secours : « socialistes », l’Algérie et le Mali étaient alliés dans le contexte de la guerre froide, et les pays voisins avaient tout à craindre d’une sécession touarègue qui aurait pu contaminer leur propre territoire.

La France ignora la révolte qu’elle avait poutant suscitée par l’espoir qu’avait fait naître le projet de création de l’OCRS (Organisation Commune des Régions Sahariennes). Cette tentative française de créer un Etat sur l’espace touareg afin de soustraire les ressources de son sous-sol aux nouveaux Etats indépendants avait excité les aspirations sécessionnistes et reste la référence de ce qui aurait pu être un Etat touareg.

Ces espérances furent étouffées, mais le feu continua de couver, pour se ranimer plus d’un quart de siècle plus tard.

Anne Saint Girons

 (Les rébellions touarègues Pages 27 à 30 ; Editions IBIS PRESS 2008)

 

 

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